09/04/1857 - requête devant la cour impériale de Bordeaux

Publié le par Jean de Tounens

On trouve à la cote 2 U 182 des archives départementales de la Gironde la requête en rectification de patronyme présentée par l'avoué de Jean Tounein devant la cour impériale de Bordeaux (cour d'appel) le 9 avril 1857. Des photographies de cette requête sont en ligne : page 1, page 2, page 3, page 4 et page 5

Jean Tounein avait tout d'abord présenté une requête en rectification de patronyme devant le tribunal de première instance de Périgueux datée du 18 décembre 1856. Il voulait que son patronyme qui apparaît comme "Tounein" dans son acte de baptême daté du 15/11/1781 ou "Tounnens" dans son acte de mariage du 4 floréal an 13, 24/04/1805, soit rectifié en "de Tounens", patronyme qui apparaissait dans les actes d'état civil de sa famille de la fin du XVIIème siècle au milieu du XVIIIème.

Par son jugement en date du 10 janvier 1857, le tribunal de première instance de Périgueux a accepté de modifier le patronyme en "Tounens", mais avait rejeté la demande concernant la particule "de" au motif que celle-ci était une particule nobiliaire et qu'aucune preuve n'était rapportée par Jean Tounein de la noblesse de sa famille.

Jean Tounein demande donc à la cour d'appel de statuer sur la particule "de" par sa requête présentée le 9 avril 1857 par son avoué Me. F. Thomas. L'arrêt sera rendu le 27 juillet 1857.

 

Transcription complète de la requête :

 

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Corps principal de l'acte
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A messieurs les Premier Président,
Présidents et Conseillers composant la cour impériale de Bordeaux

Messieurs

Le sieur Jean Tounens, propriétaire, demeurant
à Lachaise, commune de Chourgnac, lequel constitue pour son 
avoué devant la cour impériale de Bordeaux sur la présente requête, 
et ses suites, Me. F. Thomas, licencié en droit, avoué près la dite cour 
demeurant à Bordeaux, rue Monméjean n°10 à l'honneur de 
vous exposer ce qui suit : 

Le dix huit décembre 1856, l'exposant a présenté au tribunal
de 1ère instance de Périgueux une requête tendant à obtenir la 
rectification du nom qui lui avait été donné, et sur son acte de naissance, 
en date du quinze novembre 1781 et sur son acte de mariage avec 
Catherine Jardon, passé le quatre floréal an XIII

Il demandait cette rectification sous un double rapport :

1° Le nom de Tounein, qui lui avait été donné dans ses
actes de naissance et de mariage, devait être, disait-il d'abord, changé 
en celui de Tounens, qui avait toujours été le nom de sa famille ;

2° Il résultait des actes nombreux qu'il produisait que, jusques
en 1747, la famille avait constamment porté de nom de Tounens ; 
si depuis cette époque le nom de de Tounens s'était altéré et 
avait cessé dans les actes de l'état civil d'être précédé de la particule de, 
cela tenait à des causes que les actes eux-mêmes laissaient facilement 
entrevoir. 

Il sollicitait en conséquence la rectification de son nom de Tounein
en celui de de Tounens.

Par son jugement du dix janvier 1857, le tribunal de
Périgueux a fait droit à cette demande en ce sens qu'il a ordonné 
la rectification du nom Tounein en celui de Tounens ; mais il 
a en même temps déclaré que la particule de ne pouvait être 
considérée comme fesant partie du nom patronymique de 
l'exposant, et à cet égard, il a refusé d'accueillir sa demande.

C'est cette décision M(essieu)rs. que l'exposant vient aujourd'hui
déférer, par la voie de l'appel, à votre sagesse supérieure ; et il espère 
démontrer facilement que la demande toute entière devait être accueillie 
par les premiers juges.

A l'appui de cette demande l'exposant produisait en effet
et soumet encore à la cour :

1° L'acte de naissance de Etienne de Tounens, fils
légitime de Jean de Tounens et de Marguerite Nouaille, 
en date du neuf septembre 1674 ;

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2° L'acte de mariage du dit Etienne de Tounens avec
Marie Ducheyron, en date du 19 février 1705

3° L'acte de naissance de Jean de Tounens fils légitime
desdits Etienne de Tounens et Marie Ducheyron, en date du 
26 juin 1706. On remarque dans cet acte que le parrain de l'enfant, 
qui était un membre de la famille, s'appelle également Jean de Tounens.

4° L'acte de mariage dudit Jean de Tounens avec Jeanne
Bonnefon, en date du deux août 1735.

Comme on le voit et jusqu'à cette époque, tous les membres de
la famille de l'exposant ont constamment porté le nom de de Tounens.

La suite des actes montre quand et comment ce nom s'est altéré.

5° L'acte de naissance de Etienne Tonens, fils légitime de
Jean et de Jeanne Bonnefon, conjoints, en date du 15 mars 1747.

6° L'acte de mariage d'Etienne Tounen, fils légitime de
Jean Tounen, dit Prince, et de Jeanne Bonnefon, avec Anne Delage, 
fille légitime de Elie Delage, journalier, en date du six février 1777.

7° L'acte de décès de Jeanne Bonnefon, épouse de Jean
Tounen, laboureur, en date du 30 octobre 1779.

8° L'acte de naissance de Jean Tounein, exposant, fils
légitime de Etienne Tounen, journalier, et de Anne Delage, en date 
du 15 novembre 1781.

9° L'acte de décès de Jean Tounen, dit Prince, laboureur,
époux de défunte Jeanne Bonnefon, en date du 17 août 1783.

On voit, par ces actes, que c'est en 1747 que le nom de la famille
de Tounens a été altéré sur les actes de l'état civil, ou pour mieux 
dire sur les registres de la paroisse de Chourgniac ; car dans l'acte du 
15 mars 1747, on appelle Etienne Tonnens le fils légitime de 
Jean de Tounens et de Jeanne Bonnefon.

Cette altération du nom s'explique par le changement qui
survint alors dans la situation de la famille de Tounens.

Jusques là elle avait été dans l'aisance, ainsi que le témoignent
diverses quittances fournies en 1733, 1734 et 1735, 1736 et 1737 à 
Jean de Tounens, soit pour les rentes qu'il paie à l'occasion des 
immeubles qu'il tient à fief des frères pénitents de Périgueux et des 
Jacobins de la même ville, soit pour les prix d'acquisition dont il se 
libère.

Mais plus tard la situation de Jean de Tounens devient
fâcheuse et précaire.

Son état de fortune était mauvais en 1747, et dès lors on
ne donnait plus à lui et à son fils, ou peut être même ne voulut 
il plus prendre le nom qui lui appartenait.

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Le huit septembre 1753, il lui était fait sommation de
représenter des meubles saisis à son préjudice et dont il s'était 
constitué gardien volontaire. Cet acte, qui est représenté, montre la 
détresse où il était tombé et cependant il est très remarquable que 
l'huissier, qui instrumentait contre lui, lui donnait toujours le nom 
de Jean de Tounens, qu'on ne lui donnait plus six ans auparavant 
dans l'acte de naissance de son fils du 15 mars 1747.

L'huissier l'appelait même Jean de Tounens, dit Prince, surnom,
qui lui avait été vulgairement donné, peut-être par raillerie de sa 
mauvaise fortune et par allusion à sa condition.

C'est ainsi encore qu'en 1777 et le six février on voit Etienne
Tounen, fils de Jean Tounen dit Prince et de Jeanne Bonnefon se 
marier à Anne Delage, fille légitime d'Elie Delage journalier, alliance 
qui indique le facheux état de la famille de Tounens.

Enfin, dans les actes de 1779, 1781 et 1783, les de Tounens, qu'on
appelle Tounen et Tounein sont des journaliers ou des laboureurs.

Voilà pourquoit et comment le nom de la famille de Tounens
s'est altéré dans les actes produits ; et la cour trouvera naturel et légiti 
me que l'exposant revenu à une meilleure fortune désire reprendre 
et porter le véritable nom de sa famille.

Cependant le tribunal, qui a rendu à l'exposant le nom de
Tounens, a refusé de lui rendre celui de de Tounens.

Quels sont les motifs donnés à cet égard par les premiers juges ?

1° Il est vrai, disent-ils, que dans les actes anciens la famille de
l'exposant s'appelait de Tounens, mais la disparition subite de la 
particule de, en 1747, époque où elle avait encore une importance 
réelle et sérieuse, et où la noblesse était essentiellement jalouse de ses 
titres et de ses privilèges dont la loi réprimait l'usurpation avec énergie, 
donne lieu de penser que la famille Tounens n'y avait jamais eu aucun droit.

Ce raisonnement contient une erreur. La famille de Tounens
s'est appelée ainsi tant que sa situation de fortune a été en harmonie 
avec son nom. Elle a cessé de prendre, ou on a cessé de lui donner la 
particule de quand elle est tombée dans le malheur. C'est parce que la loi 
réprimait énergiquement l'usurpateur des titres et des privilèges de 
la noblesse que les de Tounens n'auraient pu les usurper dans les 
actes du neuf novembre 1674, 19 février 1705, 26 juin 1706 et deux 
août 1728, époque où la noblesse avait tout son lustre. Et ce n'est 
pas, comme le tribunal parait l'insinuer, parce que cette usurpation 
aurait été réprimée, qu'en 1747, on remarque la disparition de la 
particule, puisque, même dans un procès verbal d'exécution, 
en date du huit septembre 1753, l'huissier donnait encore au 
saisi le nom de Jean de Tounens.

Cette 1ère raison du tribunal manque donc de portée sérieuse.

2° Le tribunal ajoute qu'à la première présomption, et il joint

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celle qui découle de la condition sociale des Tounens, qui n'étaient que
de simples journaliers ou laboureurs, ainsi qu'il appert des actes de mariage, 
de naissance ou de décès des six février 1777, 30 octobre 1779, 15 
novembre 1781 et 17 avril 1783.

Oui, mais la cour voudra bien remarquer que c'est seulement
après l'époque où la particule est supprimée. Mais auparavant, tant que la famille 
s'appelle de Tounens, les actes de l'état civil ne parlent ni de laboureurs 
ni de journaliers, comme la cour s'en peut assurer, et ce simple rap- 
-prochement montre combien l'exposant a raison dans les causes qu'il donne 
à l'altération de son nom.

3° Le tribunal dit encore qu'il n'est rapporté aucun acte
où la signature des Tounens indique qu'ils se soient considérés 
comme nobles, et qu'il n'est pas même alléguée qu'ils aient obtenu 
autrefois des lettres patentes de noblesse.

Certes la situation où depuis 1747 est tombée la famille de
Tounens et la destruction en 1793 des actes anciens relatifs aux titres 
ou aux privilèges de la noblesse explique assez l'absence de ces actes 
ou de ces titres, et l'impossibilité où est l'exposant de les produire. Mais 
il produit quelque chose de plus probant encore. Ce sont les actes de 
l'état civil de la famille avant 1747. Ces actes constatent son 
nom et sa condition sociale. Toute erreur et toute fraude sont 
impossibles dans ces documents. Ils font donc, à eux seuls, pleine 
et entière foi.

4° Enfin le jugement ajoute que le chef du gouvernement
est seul investi du droit de conférer des titres nobiliaires 
que l'article 34 du code Napoléon n'exige dans les actes de 
l'état civil que l'énonciation des noms, prénoms, âge, profession, 
et domicile de tous ceux qui y sont dénommés ; et que ces con- 
ditions remplies, on ne peut en réclamer la rectification pour 
cause d'omission de la particule de.

Cette doctrine du tribunal est une erreur contre laquelle
on peut invoquer de nombreux mouvements de jurisprudence.

La particule de fait partie du nom auquel elle appartient.
Son omission dans les actes de l'état civil entraine la rectification 
de ces actes, et pour n'en citer qu'une preuve on rapporte un 
jugement de tribunal de Périgueux lui même, en date du 
douze novembre 1853, qui le reconnait expressément.

La cour n'hésitera donc pas à accueillir la demande
de l'exposant. Il a confiance en sa justice et il a la

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conscience qu'il ne demande qu'une chose juste et légitime.

Partant il plaira à la cour :

Faisant droit de l'appel que le requérant déclare
interjeter du jugement rendu par le tribunal de 1ère. instan 
-ce de Périgueux, en date du dix janvier 1857, dans ce 
chef, qui refuse de reconnaitre à l'exposant le nom de 
de Tounens, émendant, ordonner que le nom de 
l'exposant sera rectifié et rétabli en celui de de Tounens

1° sur son acte de naissance du quinze novembre 1781 

2° sur son acte de mariage avec Catherine Jardon, en date
du quatre floréal an XIII 

3° sur les actes de naissance de ses enfants.

Ordonner en conséquence que l'arrêt à intervenir sera
transcrit sur les registres de l'état civil de la commune de 
Chourgnac, et que mention en sera faite en marge des actes 
rectifiés, conformément à la loi

Ce sera justice

Présenté à Bordeaux le neuf avril mil
huit cent cinquante sept.

F Thomas

rayé deux mots nuls

FT

Nous Jean Baptiste Félix de

La Seiglière, Premier Président de la Cour 
Impériale de Bordeaux, Commandeur de 
l'ordre Impérial de la Légion d'honneur

Vu la requête qui précède à nous
présentée par Me. Thomas, ensemble les 
pièces à l'appui, donnons acte de la dite requête, 
et ordonnons qu'elle sera communiquée avec 
les pièces à Mr. le Procureur Général qui donnera 
les conclusions, et fixons l'affaire pour l'audience 
de la première chambre de la cour, du mardi cinq mai prochain.

Fait à Bordeaux, le neuf avril
mil huit cent cinquante sept.

F de La Seiglière

Publié dans actes judiciaires

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